Paparazzi

PAPARAZZI

or Chronicle of an aborted Sunrise

Editions Actes Sud – Papiers, Paris 1997

Translated from the French by Maria Vail

At least 5 actors, women and men

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Nous sommes à l’aube de la fin du monde (de la fin d’un monde ?), à l’aube de la "fin de chacun", qu’il ait été gangster, star de ciné, paparazzo, chercheur, fonctionnaire, musicien, clochard, etc. Les personnages, perdus dans un monde où la pensée n’existe plus, vont glisser petit à petit, au fil des heures, d’une nuit sans fin vers le chaos d’un jour. Peurs, lâchetés, mensonges : paroles vides pour certains, et ceux pour qui la vie prend un sens ne sont pas ceux qu’on croit.


Characters :



PAPARAZZO 1
THE VOICE OF THE BOSS
THE MAN WITH THE CELLO CASE
THE MAN WITH THE SAXOPHONE CASE
THE OWNER
THE VOICE OF THE BLIND MAN
THE BUM
THE MAN WITH THE FLUTE CASE
THE WOMAN WHO WANTS TO LEAVE ON THE TRAIN
THE MAN WHO WANTS TO LEAVE ON THE TRAIN
THE CASHIER
PAPARAZZO 2
THE FOREIGNER
THE WOMAN WITH BARE FEET
THE BLIND MAN WHO CLICKS
THE MAN IN THE SACK
THE MAN FOR WHOM BIRTH WAS A DOWNFALL
THE OLD WOMAN OF THE COMPASS
THE MUNICIPAL CLERK
THE DRINK MACHINE


SCENE 1

A room. Three or four windows.  At each window, PAPARAZZO I has placed a camera. Outfitted with large lenses, they are mounted on tripods and aimed low and across the street. PAPARAZZO 1 goes from one camera to the other, on the lookout through the telephoto lenses. He is in a state of visible excitement, and his 3 days old beard betrays his fatigue.

         His cell phone rings. PAPARAZZO 1 answers.

         Around 8 O'clock at night.

PAPARAZZO 1 - Yeah…

THE VOICE OF THE BOSS - It's me.

PAPARAZZO 1 - Hey Boss.

THE VOICE OF THE BOSS - How's it going?

PAPARAZZO 1 - I'm dead tired, Boss…

THE VOICE OF THE BOSS - I asked you how it's going.

PAPARAZZO 1 - Going alright, boss.

THE VOICE OF THE BOSS - She still there?

PAPARAZZO 1 - Yeah Boss, she slept all day long.

THE VOICE OF THE BOSS - Visitors?

PAPARAZZO 1 - Just some messengers who brought packages and flowers.  And a ton of deliveries.  It's insane the amount she must have spent, Boss!  She's crazy boss.

THE VOICE OF THE BOSS - And now?

PAPARAZZO 1 - She's with her masseur.  A Chinese gorilla who weighs I'd say about 300 pounds. Before that she worked out in the garden with another gorilla who must be one of her own gorillas and gym equipment. He made her swim some laps in the pool, do a little jogging and some aerobics, and the whole time he kept timing her.

THE VOICE OF THE BOSS - And did you get her?

PAPARAZZO 1 - Yes.

THE VOICE OF THE BOSS - In the pool, what was she like?

PAPARAZZO 1 - She had her bathing suit on, boss.

THE VOICE OF THE BOSS - Did they open the blinds?

PAPARAZZO 1 - No and I don't see much of anything through those fucking blinds.  But I think they're going to open them soon, before the gigolos and broads get there.

THE VOICE OF THE BOSS - Good, be careful, there's the whole crowd going to be posing. It looks like Marlon Brando is coming too.

PAPARAZZO 1 - I'm ready. I've got a camera aimed at the pool, another on the terrace and the yard, and another on the door to the garden which can also get everything going on in the living room. But anyway the 'party' is supposed to be in the yard. There've been 5 or 6 waiters keeping themselves busy for the last 2 hours putting tables and chairs in the yard.  From the number of place settings it looks like she's expecting at least 200 people boss. 

THE VOICE OF THE BOSS - Perfect.

PAPARAZZO 1 - But boss, I'm starving over here. And it's making me sick to see the number of place settings and when I think of all the food that's gonna get schlepped out... I've gotta come down for 2 minutes to get myself a sandwich and a couple beers. (He looks at the carafe of coffee.) Hey! Check it out, even my coffee supply is almost gone.

THE VOICE OF THE BOSS - Stay there.  I'll send Daniel with everything you need.

PAPARAZZO 1 - Thanks boss.  But, when boss?

THE VOICE OF THE BOSS - He's on the corner. I'll send him right away.  Right away, as soon as I can...if I can…

PAPARAZZO 1 - You've gotta boss, you've gotta because I'm starting to drool like a dog.

Night.  Ticking of a watch.
(Or some other way of indicating the passage of time.)

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SCENE 2

L'HOMME A L'ETUI A FLUTE, dans une rue déserte, à la proximité d'une cabine téléphonique et d'une fontaine publique. On dirait qu'il a été passé à tabac car ses vêtements sont en lambeaux et l'étui de sa flûte est défoncé. Il est en train de se laver à la fontaine publique. A côté de la fontaine, sur le macadam, l'étui de sa flûte et une bouteille de champagne presque pleine.

Dans le lointain on entend vaguement une musique (c'est un saxophone et un violoncelle) et de temps en temps des voix, des cris, des aboiements...

Le téléphone retentit dans la cabine.

L'HOMME A L'ETUI A FLUTE reste immobile quelques secondes, écoute, sort un mouchoir, s'essuie les mains et le visage, ensuite se dirige vers la cabine téléphonique et décroche.

Vers onze heures du soir.

LA VOIX - Allô?
L'HOMME A L'ETUI A FLUTE - Oui?
LA VOIX - Bonsoir.
L'HOMME A L'ETUI A FLUTE - Bonsoir.
LA VOIX - Merci d'avoir décroché. Vous savez, j'appelle parce qu'autour de cette cabine téléphonique-là il y a toujours des gens qui décrochent.
L'HOMME A L'ETUI A FLUTE - Pardon?
LA VOIX - Je disais que j'appelle parce qu'il y a toujours quelqu'un qui décroche. Vous allez bien?
L'HOMME A L'ETUI A FLUTE - Vous êtes fou ou quoi?
LA VOIX - Non. En fait, je suis aveugle.
L'HOMME A L'ETUI A FLUTE - Vous êtes aveugle...
LA VOIX - Oui, malheureusement.
L'HOMME A L'ETUI A FLUTE - Je regrette.
LA VOIX - Bon, ça n'a pas d'importance maintenant. C'est une longue histoire. Vous avez un peu de temps, là?
L'HOMME A L'ETUI A FLUTE - Vous voulez me raconter votre vie?
LA VOIX - Non. Je voulais vous demander autre chose. Je voulais vous demander de rester une minute en ligne avec moi et de répondre à quelques questions.
L'HOMME A L'ETUI A FLUTE - Quel genre de questions?
LA VOIX - Bof, rien d'essentiel. Je voudrais tout simplement vous demander de regarder un peu autour de vous et de me dire ce que vous voyez.
L'HOMME A L'ETUI A FLUTE - Ce que je vois... Ecoutez, monsieur, j'ai peur de ne pas très bien vous comprendre. Et, en plus, je suis quand même un peu pressé.
LA VOIX - Oui, mais... une minute... je ne vous demande quand même pas l'éternité. Je vous demande de rester une minute en ligne avec un aveugle.
L'HOMME A L'ETUI A FLUTE - Vous appelez d'où?
LA VOIX - J'appelle de chez moi. Et je suis tout seul. Car je vis seul.
L'HOMME A L'ETUI A FLUTE - Vous vivez seul?
LA VOIX - Oui. Et c'est pour ça que j'appelle de temps en temps, au hasard, histoire d'échanger quelques mots avec quelqu'un.
L'HOMME A L'ETUI A FLUTE - Mais pourquoi n'appelez-vous pas vos copains, les autres aveugles?
LA VOIX - Ca ne m'amuse pas. Ce qui me fait vraiment plaisir c'est quand les voyants me disent ce qu'ils voient autour d'eux. Vous êtes où là, dans un parc?
L'HOMME A L'ETUI A FLUTE - Oui. Comment le savez-vous?
LA VOIX - J'entends les canards. Il doit y avoir un lac quelque part.
L'HOMME A L'ETUI A FLUTE - En effet, oui. Le lac est tout près.
LA VOIX - Vous l'apercevez?
L'HOMME A L'ETUI A FLUTE - Oui.
LA VOIX - Il est à environ cinquante mètres de vous, n'est-ce pas?
L'HOMME A L'ETUI A FLUTE - Oui.
LA VOIX - Il y a des gens autour?
L'HOMME A L'ETUI A FLUTE - Non.
LA VOIX - Et les canards, vous les voyez?
L'HOMME A L'ETUI A FLUTE - Non.
LA VOIX - Aucun?
L'HOMME A L'ETUI A FLUTE - Aucun.
LA VOIX - Mais qu'est-ce que vous voyez alors?
L'HOMME A L'ETUI A FLUTE - Dans la direction du lac?
LA VOIX - Oui.
L'HOMME A L'ETUI A FLUTE - Je vois un chien.
LA VOIX - Un chien! Il est tout seul?
L'HOMME A L'ETUI A FLUTE - Oui. Ca doit être un chien errant.
LA VOIX - Il fait quoi?
L'HOMME A L'ETUI A FLUTE - Rien. Il se repose.
LA VOIX - Bon. Vous n'avez rien à manger sur vous j'imagine.
L'HOMME A L'ETUI A FLUTE - Non. Mais j'ai une bouteille de champagne.
LA VOIX - Pardon?
L'HOMME A L'ETUI A FLUTE - Non, rien.
LA VOIX - Dommage. Il y a des arbres autour de lac?
L'HOMME A L'ETUI A FLUTE - Oui.
LA VOIX - C'est beau, les arbres, n'est pas?
L'HOMME A L'ETUI A FLUTE - Oui. Monsieur, j'ai peur de devoir vous quitter.
LA VOIX - Vous faites peut-être du footing?
L'HOMME A L'ETUI A FLUTE - Oui, c'est ça. Je fais du footing.
LA VOIX - Je vois... Merci quand même d'avoir répondu à mon appel.
L'HOMME A L'ETUI A FLUTE - Je vous en prie.
LA VOIX - Ca m'a fait plaisir de vous entendre. Ah, une dernière question s'il vous plaît. Le ciel, il est comment en ce moment? Il est clair?
L'HOMME A L'ETUI A FLUTE - Oui. Mais il y a aussi des nuages qui s'accumulent.
LA VOIX - Oui, ça doit être beau, le ciel, avec ces nuages qui s'accumulent...
L'HOMME A L'ETUI A FLUTE - Oui.
LA VOIX - Et le soleil?
L'HOMME A L'ETUI A FLUTE - Le soleil?
LA VOIX - Le soleil...
L'HOMME A L'ETUI A FLUTE - Le soleil, quoi, le soleil?
LA VOIX - Le soleil, vous le voyez?
L'HOMME A L'ETUI A FLUTE - Ecoutez, monsieur, allez vous faire foutre!
LA VOIX - Allez, bonne nuit! Merci quand même d'avoir répondu à mon appel. Et regardez de temps en temps le soleil pour moi... Et merci, hein?
L'HOMME A L'ETUI A FLUTE - Je vous en prie. Au revoir!
LA VOIX - Au revoir.

L'HOMME A L'ETUI A FLUTE raccroche. Il boit une gorgée de champagne directement de la bouteille, prend l'étui à flûte et s'éloigne.

Le téléphone retentit de nouveau dans la cabine téléphonique. L'HOMME A L'ETUI A FLUTE s'arrête, hésite et finalement retourne sur ses pas. Il dépose sur le macadam l'étui à flûte et la bouteille, et décroche.

L'HOMME A L'ETUI A FLUTE - Oui?
LA VOIX - C'est toujours moi.
L'HOMME A L'ETUI A FLUTE - Oui, je m'en doutais.
LA VOIX - Je voulais vous dire qu'il y a un appartement à louer dans le bâtiment où j'habite.
L'HOMME A L'ETUI A FLUTE - Je ne comprends pas.
LA VOIX - Ca fait rien. Allez, adieu.

L'HOMME A L'ETUI A FLUTE raccroche, attend quelques secondes, boit une gorgée de champagne directement de la bouteille et ensuite s'éloigne.

Il a abandonné la bouteille à côté de la fontaine publique.

Eau qui coule.
(Ou une autre façon de marquer le temps qui passe.)retour

 

"Paparazzi ou la chronique d'un lever de soleil avorté" est sans doute la pièce la plus débridée de Matéi Visniec, traversée par vingt-quatre personnages passablement désincarnés, évoluant dans des lieux aussi multiples que désertés.

Sans doute cette œuvre est-elle d'inspiration cinématographique (prémisse d'un futur scénario de l'auteur ?) et s'inscrit par sa folie, sa violence urbaine, mais aussi par sa poésie, son humour et son humanité, dans un courant de pensée proche de Tarantino ou d'un Auster…

Nous somme à l'aube de la fin du monde (de la fin d'un monde ?) à l'aube de la "fin en soi de chacun", que ce chacun ait été gangster, star de ciné, paparazzo, chercheur, fonctionnaire, musicien, clochard, etc. Et au-delà de ce thème, il y a l'Etre dans le deux acceptions du terme, le fait même d'être et l'être humain en tant que tel, et le Temps qui coule sans que plus personne ne pense, le temps mort, le temps inhabité et vacant.
Quatre acteurs prêteront leurs corps aux vingt-quatre personnages de l'auteur et seront les "montreurs" de ce temps qui fuit, temps grave, quotidien ou bien temps festif, et tendront le fil qui conduit d'un appartement abandonné à une rue déserte, d'un bar sans vie à une gare en feu, d'une cabine téléphonique à un souterrain assombri… du jour à la nuit… d'un début à une fin.

Dans la plupart des pièces de Matéi Visniec les allusions politiques foisonnent et le pouvoir, totalitaire ou en passe de le devenir, est mis en "examen". Intolérance, exclusion, petits ou grandes, des lâchetés de l'Etre, différence, intérêts personnels, sont les thèmes favoris de l'auteur.
Paparazzi ou la chronique d'un lever de soleil avorté est dans la lignée de cette inspiration subversive, parabolique, allégorique et satirique. Si la société décrite par Visniec est aux bords de l'agonie annoncée, il n'en demeure pas moins vraie que l'humour est bel et bien actif, même s'il se transforme parfois en perplexité. L'humour, ultime rempart face à une monde qui ne décline plus que perte de sens, de savoir, d'humanité, bref, de lumière.

Visniec, sans moralisme ni "prise de tête", nous met – avec sa gravité comique – en garde…
Avec un douceur évidemment implacable il bouscule "drôlement" nos certitudes. Sans pessimisme il rit avec distance d'une société en mutation et, d'imprévus programmés en questions inattendues, nous propose un voyage mi rire mi raison au pays du soleil qui s'éteint… peut-être.

Aussi, dans une ambiance polar, les stars, les gangsters et les fonctionnaires, entre deux ou trois stores américains, les femmes au pied nu, les aveugles qui zappent, vont-ils s'entre-détruire ou s'auto-détruire à grands coups de musiques saxophonisées, de flûtes déjantées, de violons et de locomotives accordés, dans un espace à la fois neutre et buildinguisé.
Comme un agréable souci de nos travers les plus tragiques…

Christian AUGER
         (Comédien et metteur en scène, Christian AUGER a dirigé à Lyon la Compagnie PLI URGENT. Entre 1993 et 2002 six pièces de Matéi Visniec on été créées par PLI URGENT ("Du pain plein les poches", "L'histoire des ours pandas racontée par un saxophoniste qui a une petite amie à Francfort", "Le dernier Godot, Paparazzi ou la chronique d'un lever de soleil avorté", "La vieille dame qui fabrique 37 cocktails Molotov par jour" et "Richard III n'aura pas lieu"). Toutes ces créations ont été présentées au Festival d'Avignon dans le OFF.)


Dans une ville jungle désolée se cherchent se croisent s’appellent et se perdent deux tueurs à gages – un paparazzo sur le retour – un couple qui veut prendre le train – un flûtiste qui vient de se faire casser la gueule – un aveugle qui harcèle les gens au téléphone – une clocharde et son chien mort… alors qu’une implosion solaire semble menacer ; est-ce vraiment la fin du monde ?
Dans cette fable sur le monde moderne, Visniec nous promène à travers une ville à la fois énigmatique et poétique, qui a perdu ses repères originels, suite à la prédiction que l’astre roi allait disparaître et qu’on ne verrait pas le prochain lever de soleil. S’agit-il d’une véritable fin du monde commentée par les scientifiques, d’une farce macabre, d’une mystification savante, orchestrée à des fins mystérieuses ou encore d’un rêve inspiré, aux sonorités haletantes de cauchemar? L’auteur nous laisse la liberté du choix mais malmène notre propre conscience d’être humain en changeant la perspective et les angles de vision qui habituellement peuvent nous rassurer sur notre condition d’homo sapiens. Il pousse ce pseudo roman policier aux parfums de BD futuriste dans les confins de l’absurde et déclenche un comique irraisonné et incroyable, rarement égalé au théâtre.

(Cahier programme, Théâtre de l’Iris)

Company Pli Urgent, Avignon 1997, France, directed by Christian Auger

Théâtre de l’Iris, Villeurbanne 2008, France, directed by Caroline Boisson

Tony Bulandra Theater, Targoviste, Romania, 2010, directed by Eva Patko

Romanian

English (translation Maria Vail)

German (translation Katharina Bogensberger)

Catalan (translation Joan Llinas)

Persian (translation Tinouche Namjou)

Hungarian (translation Eva Patkó)

Japanese (translation Hiroto Ogi)

Bulgarian (translation Ivan Radev)

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